Les avantages de contribuer à la plateforme de science citoyenne iNaturalist en tant qu’identificateur

This is a French language translation of the community pages manuscript published in PLOS Biology, available here: https://doi.org/10.1371/journal.pbio.3001843.

Translation done by Amélie Tatin.

Résumé

Comme le nombre d’observations soumises à la plateforme de science citoyenne iNaturalist continue d’augmenter, il est de plus en plus important que ces observations puissent être identifiées jusqu’au niveau taxonomique le plus bas, maximisant ainsi leur valeur pour la recherche en biodiversité. Ici, nous explorons les avantages d’augmenter le nombre d’identificateurs sur iNaturalist.

Introduction

Dans un monde de plus en plus modifié par l’homme, les données sur la biodiversité sont essentielles à la détection et à la compréhension des changements de la biodiversité locale et globale [1]. La surveillance de la biodiversité est ciblée dans le projet de cadre mondial pour la biodiversité post-2020 de la Convention sur la diversité biologique (Convention on Biological Diversity, CBD), admettant que des connaissances actualisées sont nécessaires pour guider les prises de décisions. Au cours des dernières décennies, nous avons assisté à une augmentation importante des données disponibles sur la biodiversité, avec actuellement plus de 2,1 milliards d’enregistrements d’occurrence d’espèces dans le Fonds mondial d’information sur la biodiversité (Global Biodiversity Information Facility), soit 12 fois plus qu’en 2007 [2]. Cette augmentation des données sur la biodiversité est due en partie à la popularité croissante de la science citoyenne ou communautaire.

L’une des plateformes qui connaît le plus de succès à l’échelle mondiale est iNaturalist (www.inaturalist.org ; [3]), une plateforme multi-taxonomique et une initiative conjointe de l’Académie des Sciences de Californie (California Academy of Sciences) et de la National Geographic Society. iNaturalist permet aux participants de contribuer aux observations de n’importe quel organisme (comme énoncé par exemple dans la figure 1) ou de ses traces, avec les métadonnées spatio-temporelles associées. Les observations sont ensuite identifiées et vérifiées à haute résolution taxonomique par la communauté d’iNaturalist, en conjonction avec l’augmentation importante et rapide des visions suggérées par l’ordinateur. Une observation est considérée comme de « bonne qualité » pour la recherche - ci-après ‘qualité recherche’ - lorsqu’elle répond à deux critères. Premièrement, il faut qu’elle corresponde aux critères de qualité des métadonnées du site. Deuxièmement, elle doit avoir au moins deux identifications suggérées, dont plus des deux tiers sont en accord à l’échelle de l’espèce (c’est-à-dire 2/2, 2/3, 3/4, etc. ; bien que les enregistrements identifiés à une échelle plus petite que la famille puissent également devenir de qualité recherche si aucun progrès dans l’identification n’est jugé possible). Alors que la quantité de données et de contributeurs continue d’augmenter sur iNaturalist, un des obstacles à la pleine utilisation de ces données pour la recherche scientifique est le manque de participants ayant une expertise raisonnable (c.-à-d, quelqu’un ayant les compétences et la capacité nécessaires de faire des identifications informées) - ci-après ‘identificateur’ - participant activement à la communauté. La communauté iNaturalist depuis janvier 2022 est composée de 2,5 millions d’utilisateurs dont 92% se contentent d’observer, moins d’1% n’ont réalisé que des identifications, et 7% observent et identifient à la fois. Un recrutement plus important d’identificateurs est clairement nécessaire. Nous présentons ici notre point de vue collectif sur sept raisons de contribuer à iNaturalist en tant qu’identificateur (encadré 1).

Encadré 1 : Sept raisons de contribuer à iNaturalist en tant qu’identificateur

1. Ta contribution augmente la connaissance de la biodiversité

• Lorsque tu ajoutes une identification à une observation, cela peut immédiatement augmenter la valeur de cet enregistrement en faisant progresser le niveau taxonomique auquel cette observation est identifiée.

• Les efforts d’identification peuvent être classés par ordre de priorité afin d’accroître au maximum les connaissances (par exemple, en identifiant des espèces dans des régions du monde sous-échantillonnées, en ciblant des groupes taxonomiques spécifiques qui sont menacés ou en se focalisant sur des régions du monde à fort endémisme).

2. La valeur des enregistrements opportunistes augmente

• Grâce à l’augmentation rapide des progrès statistiques et des approches d’intégration des données avec un échantillonnage structuré, chaque enregistrement identifié peut faire progresser notre compréhension des distributions d’espèces et des trajectoires d’abondance.

• Les photographies d’iNaturalist sont de plus en plus utilisées de manière secondaire, unique et nouvelle, souvent de manière opportuniste.

3. Tu peux fournir des données sur les espèces menacées, insuffisamment documentées ou envahissantes

• Depuis sa création, les utilisateurs d’iNaturalist ont documenté de nombreux enregistrements importants, y compris la redécouverte d’espèces que l’on croyait éteintes ou localement disparues, des extensions considérables de l’aire de répartition et de nouveaux enregistrements nationaux, des comportements et des associations d’hôtes non documentés auparavant, ainsi que la découverte et les descriptions ultérieures de nouvelles espèces.

• iNaturalist est utile pour surveiller la propagation pathognomonique vers de nouveaux sites et pour réagir rapidement en détectant de nouvelles introductions.

4. iNaturalist est une plateforme de collecte de données prête à l’emploi, gratuite et facile à utiliser

• Les seules conditions requises pour utiliser iNaturalist sont un ordinateur ou un smartphone et une connexion internet. Tous les aspects de la plateforme, y compris le chargement, l’identification et le téléchargement de données, sont entièrement gratuits.

• Un élément important de l’infrastructure d’iNaturalist est la vision par ordinateur qui fournit des suggestions d’identification automatique.

• iNaturalist dispose d’un outil dédié à l’identification (www.inaturalist.org/observations/identify) qui est simplifié pour effectuer et vérifier rapidement les identifications.

5. Vous pouvez participer à des interactions dynamiques en temps réel dans le monde entier

• L’utilisation d’iNaturalist incite à discuter et à collaborer avec tous les types d’utilisateurs en temps réel, ce qui présente des avantages pour toutes les parties concernées.

• Discuter des identifications est un moyen d’affiner et d’élargir ses propres compétences y compris la possibilité pour les experts plus expérimentés de valider les identifications des experts moins expérimentés ce qui permet de former la prochaine génération d’identificateurs.

6. Vous pouvez vous adresser à un public plus large

• iNaturalist offre un mécanisme efficace et puissant pour un impact sociétal plus large car les identificateurs peuvent entrer en contact avec des milliers d’individus à travers le monde, aidant ainsi à connecter les gens avec les écosystèmes dont ils font partie.

• L’engagement des participants par le biais de la plateforme peut également améliorer la qualité et la quantité des observations utiles à la science de la biodiversité.

7. Tu peux t’amuser

• Parcourir les photographies d’espèces, même bien connues, et aider les nouveaux naturalistes à les identifier peut être agréable et enrichissant.

• Il existe un projet officiel « iNat Observation of the Day » (Observation iNat du jour) (voir ici) qui présente de telles observations.

Comment les identifications peuvent contribuer à la recherche sur la biodiversité

En tant qu’identificateur sur iNaturalist, tu peux identifier des observations qui ont été faites n’importe où dans le monde et tes efforts d’identification peuvent être priorisés pour une augmentation maximale des connaissances. Par exemple, les identifications correctes d’invertébrés peu étudiés dans les tropiques ont probablement plus de valeur que les identifications d’oiseaux communs aux États-Unis. Les erreurs d’identification passées peuvent être modifiées de manière transparente sur iNaturalist. De plus, la personne qui a fait l’observation, ainsi que tous les futurs identificateurs potentiels, peuvent apprendre l’identification de cet organisme. Même si une observation n’est pas identifiable au niveau de l’espèce, une identification experte au niveau de la famille ou du genre associée au fait d’enseigner l’observateur à ce qu’il doit rechercher et capturer la prochaine fois est souvent utile pour améliorer la qualité des données à l’avenir.

Outre l’utilisation d’enregistrements opportunistes pour quantifier la biodiversité dans l’espace ou dans le temps, les photographies d’iNaturalist sont également utilisées pour de nombreuses manières secondaires uniques et nouvelles, souvent opportunistes par nature. Par exemple, les enregistrements opportunistes ont été utilisés pour étudier le moment de la mue hivernale du pelage chez les chèvres de montagne [4]. L’utilisation d’une photographie à ces fins est d’autant plus utile que l’observation a été identifiée avec la meilleure résolution taxonomique possible, ce que l’augmentation du nombre d’identificateurs experts peut aider à réaliser. Les identificateurs peuvent également ajouter de la valeur aux observations grâce aux annotations iNaturalist (par exemple, phénologie végétale = floraison), aux champs d’observation (par exemple, espèce hôte) et à l’ajout d’observations aux projets (par exemple, abeilles se concentrant sur le nectar; [5]).

Depuis sa création, les utilisateurs de iNaturalist ont documenté de nombreux enregistrements importants, y compris la redécouverte d’espèces que l’on croyait éteintes ou localement disparues [6], des extensions considérables de l’aire de répartition et de nouveaux enregistrements nationaux [7], ainsi que des comportements et des associations d’hôtes non documentés auparavant [8]. Les observations téléchargées dans le projet Australasian Fishes ont contribué à plus de 600 découvertes d’espèces non décrites, d’extensions d’aires de répartition, de comportements non documentés et d’interactions entre espèces [9], tandis que le projet First Known Photographs of Living Specimens compte plus de 3600 enregistrements représentant les premiers (et souvent les seuls) enregistrements photographiques de ces taxons [10]. Les nouvelles observations identifiées rapidement peuvent être particulièrement importantes du point de vue de la biosécurité. La science citoyenne peut permettre la détection rapide d’espèces invasives [11]. En effet, il existe un nombre croissant d’enregistrements d’espèces invasives ayant été détectées pour la première fois via iNaturalist. Le 31 juillet 2020, une photographie de dégâts causés par l’alimentation sur une feuille d’orme (Ulmus sp.) a été téléchargée sur iNaturalist (voir ici) par l’utilisateur Alain Hogue (@alainhogue). Dans les huit heures qui ont suivi, Charley Eiseman (@ceiseman), un expert nord-américain de l’exploitation des feuilles et d’autres traces et signes d’insectes herbivores, a suggéré que l’observation pourrait représenter le premier enregistrement nord-américain de la tenthrède zig-zag de l’orme (Aproceros leucopoda), une espèce nuisible envahissante en dehors de son aire de répartition d’origine en Asie orientale. L’observation a suscité des visites sur place de l’Agence canadienne d’inspection des aliments et du Service canadien des forêts (Canadian Food Inspection Agency and Canadian Forest Services), où des spécimens ont été recueillis. Par ailleurs, des recherches supplémentaires sur les observations d’Ulmus au Canada et aux États-Unis ont permis de découvrir d’autres enregistrements [12].

Un fil conducteur dans beaucoup de ces enregistrements “spéciaux” est que, jusqu’à ce qu’ils soient vus et identifiés par un expert, ils ne sont qu’un enregistrement parmi les millions téléchargés sur la plateforme. En effet, il y a probablement des milliers de déplacements ou d’extensions d’aires de répartition, de nouveaux enregistrements nationaux, de redécouvertes ou d’espèces nouvellement introduites qui ont été téléchargés sur iNaturalist mais qui sont passés inaperçus en raison d’un manque, voire d’une absence, d’identificateurs pour des taxons ou des régions particulières.

Conclusions

iNaturalist révolutionne notre compréhension de la biodiversité à de multiples échelles spatiales et temporelles, ainsi qu’à travers la société. Bien que nous nous concentrions sur les individus qui consacrent leur propre temps à identifier les observations iNaturalist, nous reconnaissons que le soutien institutionnel aux experts pour qu’ils consacrent du temps à l’identification des observations est une opportunité supplémentaire qui produirait des bénéfices similaires. De la même manière, il existe des obstacles à l’utilisation généralisée de iNaturalist à l’échelle mondiale (c.-à-d. l’accès à Internet ou aux smartphones) qui devront être entièrement surmontés pour maximiser dans l’avenir la valeur de iNaturalist pour la recherche sur la biodiversité. Néanmoins, à court terme, nous espérons que tu envisageras de contribuer ton expertise à iNaturalist. En effet, un investissement de 30 minutes par jour, semaine ou mois peut apporter des contributions substantielles à l’amélioration collective de notre compréhension de la biodiversité. Nous concluons en offrant une invitation ouverte à tous les identificateurs potentiels à nous contacter sur iNaturalist pour tout conseil ou orientation (voir Tableau S1).

References

[1] Stephenson PJ, Stengel C. An inventory of biodiversity data sources for conservation monitoring. PLoS One. 2020;10: e0242923.

[2] Heberling JM, Miller JT, Noesgaard D, Weingart SB, Schigel D. Data integration enables global biodiversity synthesis. Proc Natl Acad Sci U S A. 2021;118: e2018093118.

[3] Seltzer C, Making Biodiversity Data Social, Shareable, and Scalable: Reflections on iNaturalist & citizen science. Biodivers. Inf. Sci. Stand. 2019; e10197.

[4] Nowak K, Berger J, Panikowski A, Reid DG, Jacob AL, Newman G, et al. Using community photography to investigate phenology: A case study of coat molt in the mountain goat (Oreamnos americanus) with missing data. Ecol Evol. 2020;10: 13488-13499.

[5] Portman ZM, Ascher JS, Cariveau DP. Nectar concentrating behavior by bees (Hymenoptera: Anthophila). Apidologie. 2021;52: 1-26.

[6] Jones CD, Glon MG, Cedar K, Paiero SM, Pratt PD, Preney TJ. First record of Paintedhand Mudbug (Lacunicambarus polychromatus) in Ontario and Canada and the significance of iNaturalist in making new discoveries. Can Field-Nat. 2019;133: 160-166.

[7] De Roux JM, Noguera-Urbano EA, Ramírez-Chaves HE. The vulnerable Colombian weasel Mustela felipei (Carnivora): new record from Colombia and a review of its distribution in protected areas. Therya. 2019;10: 207-210.

[8] Putman BJ, Williams R, Li E, Pauly GB. The power of community science to quantify ecological interactions in cities. Sci Rep. 2021;11: 1-8.

[9] Booth DJ, Sear J. Coral expansion in Sydney and associated coral-reef fishes. Coral Reefs. 2018;37: 995.

[10] Mesaglio T, Soh A, Kurniawidjaja S, Sexton C. ‘First Known Photographs of Living Specimens’: the power of iNaturalist for recording rare tropical butterflies. J Insect Conserv. 2021;25: 905-911.

[11] Larson ER, Graham BM, Achury R, Coon JJ, Daniels MK, Gambrell DK, et al. From eDNA to citizen science: emerging tools for the early detection of invasive species. Front Ecol Environ. 2020;18: 194-202.

[12] Martel V, Morin O, Monckton SK, Eiseman CS, Béliveau C, Cusson M, et al. Elm zigzag sawfly, Aproceros leucopoda (Hymenoptera: Argidae), recorded for the first time in North America through community science. Can Entomol. 2021;154: 1-18.